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vendredi, juillet 13, 2007

Gens de la Terre

Nous sommes reliés à la Terre avant même d’être né. Dès six mois de vie intra-utérine, un fœtus entend, dort et rêve. Son univers, ou uni-mère, devrait-on dire, entre déjà en dialogue avec le « Grand dehors ».

Après la naissance, commence pourtant, pour la majorité d’entre nous, ce formatage éducatif qui vise davantage à nous faire décrocher un permis pour rouler sur l’autoroute de la société que de nous apprendre à être et marcher sur terre en tant qu’homme ou femme.

« Toute éducation, écrivait le Comte Harry Kessler, dans ses remarquables cahiers, est une entreprise d’oppression, de même que le pouvoir exercé par un Etat, quel qu’il soit. Education, société, Etat, ne servent qu’à sublimer et raffiner les formes brutes de la violence. Ce n’est pas une différence de nature, mais de forme et de degré. L’individu, objet de l’éducation, n’en subit pas moins un viol, il est détourné hors de sa voie naturelle, il est dénaturé (c’est même, à vrai dire, le but réel de la culture)… *».

L’homme est lié au monde de l’homme par sa naissance au même titre qu’il est naturellement lié à une totalité qui dépasse l’humain. Restreindre ce « champ » du monde à la société, à des représentations, des valeurs exclusivement humaines, revient à remplacer l’océan par un aquarium d’appartement. La perte du sens « originel » qui en résulte pour nous, - et qui se traduit par cette hâte déracinée dans notre corps, dans nos paroles, dans notre psychisme -, nous tient encagé dans une culture de divertissement de masse pour les moins affaiblis, d’antidépresseurs pour les plus exposés.

Cette « urb-annihilation » que s’inflige l’homme occidental, certains peuples premiers, dont font partie les Kogis, la commentent en ces termes : « Les blancs sont toujours dans la compétition, ils se battent entre eux. Chez nous, les gens sont les uns avec les autres, ils sont complémentaires. Et puis, il faut vivre les choses pour les comprendre ; vous, vous apprenez. […] Pour nous, le terre est source de vie, elle nous donne les règles, c’est pour cela que nous l’appelons la terre mère, pour vous elle est propriété, source de profits, marchandise. **»

Derrière la simplicité limpide du discours, on devine déjà la richesse d’une vision née de la relation vivante entre l’homme, la nature et le cosmos. Mais qui sont les Kogis ? Cette question, Eric Julien, ancien consultant en entreprise dans un cabinet parisien, se l’est posée, quelques années après avoir croisé leurs pas au cours d’une expédition dans la Sierra Nevada, qui faillit lui coûter la vie.

Victime d’un œdème, il doit sa survie aux soins et aux rites de ce peuple d’indiens « étranges et magnifiques ». […] « Entre eux, ils se nomment les Kagabas, « Les gens de la Terre » […] ils sont les derniers héritiers des grandes civilisations du continent sud-américain […] ils représentent sans doute l’une des dernières cultures à avoir su entretenir et faire vivre leurs traditions sans interruption depuis plusieurs centaines d’années. »

Le récit qui est né de cette rencontre, intitulé : « Le chemin des neuf mondes », se lit d’abord comme un pèlerinage initiatique qui invite, peu à peu, le lecteur à retrouver une véritable culture du vivre, à assumer une posture reliée à « l’essence du monde ». Et Julien de préciser : « Au même titre que quelques rares autres peuples à travers le monde, les Kogis portent et entretiennent encore ces règles et ces principes, véritables clés d’accès à la conscience du monde. […] ils sont les gardiens des chemins de conscience que les êtres humains se doivent d’entretenir, s’ils veulent rester humains. […] ils ont accès de l’intérieur aux règles clés qui fondent l’équilibre du monde. Ils sont capables d’aller au-delà des apparences, d’accéder aux liens invisibles qui tissent la vie.»

Ce dialogue permanent avec la Terre, le ciel, l’animal, l’homme, dans lequel les Kogis sont engagés, n’est pas nouveau, pensera-ton, il ne provoquera pas de record d’audimat, à peine un moment de flottement nostalgique chez « l’homme blanc », rappelés à la réalité par la sonnerie de son portable, les titres du journal ou son inscription au Master en gestion de stress, organisé par son entreprise. C’est pourtant un dialogue qui, à cette minute même, existe et parce qu’il continue à vivre, reste ouvert à ceux qui, préférant un silence d’homme à un bruit de voix, écoute cette « vie bruissante des forces nues de l’univers ***», qu’un poète, Artaud, avait entendu monter de la terre mexicaine.
* Les cahiers du comte Harry kessler. Ed. Grasset
** Le chemin des neuf mondes. Eric Julien. Ed. Albin Michel
***Oeuvres. Antonin Artaud. Ed. Gallimard
© Emmanuel Ortiz pour la photo. Eric Julien pour les extraits.
Pour plus d'infos sur l'association d'Eric Julien: http://www.tchendukua.com/


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