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mardi, juin 20, 2006

Pélerin du vide


"A cette époque-là, je vivais sur le promontoire des Vents, dans la rude Gallovie, près de la fameuse "Maison blanche" édifiée par Ninian", écrit, dans un texte exhumé dans un monastère par Kenneth White, un narrateur anonyme. Rédigé en latin vers les derniers jours de l'empire romain en Grande-Bretagne, le parcours décrit par cet homme éclaire étrangement cette parole du poète Endsen: "L'homme ne devient réel qu'aux frontières"

Cet homme sans nom -"Mon nom n'a aucune importance, écrit-il, avant d'ajouter; Je n'ai jamais cru à rien"- décide de se joindre à une mission de Ninian, "le serviteur de Dieu". "Armé d'un stylet et de quelques tablettes", il se retrouve bientôt au milieu de territoires inconnus.

"A chaque station de prêche, Ninian gravait une croix sur une pierre, pour marquer et sanctifier le lieu[...] Quant à moi, je continuais à faire mes relevés de terrain, à dresser des cartes, fasciné moins par les croix de Ninian que par les pierres elles-mêmes, me disant, l'oeil sur l'horizon, que ce qui m'intéressait, ce n'était ni la vie ni la mort, mais la forme des choses. Moins les symboles de sanctification que les lignes de pénétration."

"Au fur et à mesure que l'on avançait, les signes pictes devenaient de plus en plus fréquents. Ils étaient gravés sur des pierres ou des poteaux de bois: des formes géométriques, avec des oiseaux et des animaux[...] Dans cette Alba, j'avais l'impression d'entrer en contact, pas après pas, signe après signe, avec une sorte d'aube archaïque et d'avoir accès à des archives secrètes."

"Un jour, un Picte rencontré dans la montagne prit un morceau de bois, et avec son couteau grava dessus une ligne[...] Je n'ai évidemment rien compris. Mais je peux dire ceci: l'empire romain, c'était le temps, un temps bien mesuré, bien rythmé; le christianisme était le temps aussi, qui commençait par la naissance du christ, bien datée, toujours rappelée. Mais ici, j'avais la sensation d'être hors du temps, d'avancer parmi des signes dans l'espace, et d'entrer dans une aire culturelle complètement différente."

"Ninian mourut en 432. J'ai continué à errer dans les territoires. J'ai longé la côte[...] pour m'établir finalement dans une région que pas même les tribus de la brume n'habitent. J'ai une cellule de pierre et de bois à l'orée de la forêt. Tout autour de moi, des montagnes, des plateaux[...] Parfois, dans ma cellule, la nuit, je revois le passé[...] Je me dis: tu as connu Aquitania, Armorica, Brittania, Alba... Tu as connu des catastrophes et des cataclysmes. Te voilà tout au bord, aux limites, homme de rien, citoyen du néant, pèlerin du vide."

vendredi, juin 16, 2006

L'homme atlantique


Dans l'un des chapitres les plus inspirés de "La maison des marées", Kenneth White partage une découverte étonnante. Deux textes inédits, deux voix originales, à quelques siècles de distance. Le premier, qu'il intitule L'arpenteur, écrit à l'origine en breton, évoque la figure errante d'un homme dont: "On n'a jamais su s'il était artiste, arpenteur, ou autre chose encore. A ceux qui lui demandaient ce qu'il était venu faire dans ces contrées, il répondait invariablement: "Je suis venu voir". Voir quoi?"

Le narrateur retrace les contours de cet homme en marche, que l'on aperçoit par tous les temps, sur les landes et les sentiers de la côte ou lisant dans son étude, des livres écrits dans des langues inconnues. Si l'on ignore ce qu'il est venu voir, en revanche, des fragments de sa plume nous livrent les fulgurances de sa vision:

"Préserver un espace où les signes sauvages peuvent faire irruption"; "Le champ de la connaissance n'est pas le domaine du savoir" ou encore: "On est plus près de l'Être en n'étant rien qu'en se croyant quelque chose".

Philosophe?, hasarde le narrateur. "Peut-être. mais d'autres bouts de papier ne portaient que des listes: "Granit, grès [...] busard cendré [...] pleine lune, pluie atlantique..." Il était souvent dehors [...] et il dessinait. Difficile de dire quoi: je n'y voyais que des lignes et une multiplicité de touches, rien qui ressemblât à quelque chose [...] et pourtant, curieusement, cela me plaisait. C'est peut-être cela qu'il appelait "aventures dans le multivers".

Avant de repartir, cet homme qui était une énigme, laisse derrière lui un dessin avec ce billet: Peut-être que toi aussi, un jour, tu auras envie de voir."

samedi, juin 10, 2006

Voix de poètes


"Moi poète j'entends des voix qui ne sont plus du monde des idées. Car là où je suis, il n'y a plus à penser."
"Je pense que la poésie n'est pas un phénomène purement humain et qu'elle n'est pas un phénomène dû au seul langage."
La première de ces voix est celle d'Artaud. La seconde, celle de Roger Caillois, dans un ultime entretien. Deux arpenteurs d'un territoire qui déborde les pages d'un livre, l'écran de cet ordinateur. Davantage qu'une parenthèse: un cercle. Ouvert.

mardi, juin 06, 2006

Second volet d'Endsen



Deux extraits du roman en cours. Encore sans titre, il fera suite à "L'homme caché", le poète Endsen.

"L’homme est ce culte social qui masque un lieu inconnu."

"Je crois, dit-elle, que notre monde a toujours repoussé hors du cercle, des êtres comme Endsen. Et je crois que cela est juste. Un tel homme doit s’éloigner des frontières connues. Une nécessité intérieure le commande. Il doit se dépouiller du corps social et s’avancer vers lui-même de plus en plus nu, de plus en plus seul, jusqu’au noyau pur de sa vision. Faire face à celle-ci exigera plusieurs années. Mais parce que sa démarche participe d’une « impulsion originelle », présente en chaque être, il continu de se rattacher à l’humanité. Cette impulsion, cette force est celle qui nous inspire à tous des rêves. Elle oriente les pas de certains, la vie de très peu. Elle reste une nostalgie pour la plupart. " © Pierre Cendors, pour ces textes.2006

dimanche, juin 04, 2006

Vertige Nord


Poète d'un espace géographiquement situé nulle part et partout, voici Endsen. Il est né d'un rêve dont l'auteur s'est éveillé, un matin, au bord de l'atlantique, dans l'ouest irlandais. Une fulgurance, ce nom. Si pour Rimbaud, la vie est ailleurs, on peut nuancer en ajoutant que certains noms, mots et sons, sont véritablement porteurs d'un ailleurs qui véhiculent, pour un homme, une vie incandescente. Dès le premier jour, Endsen est devenu ce mot de passe qui ouvrait un passage dans le paysage de l'être. Sa sonorité scandinave évoque naturellement le Nord, le lointain, une zone blanche du monde. Une sorte d'absolu que le End (dans Endsen) rétablit à une échelle terrestre, ce qui ne veut pas dire "humaine". Pour résumer, la force de ce nom est celle que l'on éprouve quand on rencontre le pôle de son Nord intérieur. "Quand on est lointain, écrivait He Quing, le sage chinois, on arrive au coeur de la nature." Une belle définition pour résumer l'orientation de ce blog. Bienvenue à vous.