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mercredi, avril 22, 2015

L'invisible dehors, carnet islandais d'un voyage intérieur



Je suis à la recherche de l'homme des pouvoirs premiers, disait Ramuz. Je préfère aller à la rencontre des lieux de pouvoirs premiers. Il y a, dans le bois hivernal, un froid vigilant de l'esprit qu'aucun homme ne saurait éveiller en moi. C'est là, à l'écart de nos pas, loin des sentiers, que les flocons tombent sans laisser d'empreintes sur la neige.

Carnet de chemin: lundi 06 juin 2011

Au printemps 2011, je suis parti en Islande pour documenter Archives du vent, mon prochain roman. J'ignorais ce qui m'attendait là-bas. Comme Martin Buber, je pourrais écrire aujourd'hui: Tous les voyages ont des destinations secrètes dont le voyageur n'a pas conscience. Car, dès mon premier regard par le hublot de l'avion, j'ai été tout à coup emporté...ailleurs.

C'est là, durant un mois, que j'ai marché, vécu et écrit les pages de ce carnet: dans une région islandaise de l'ailleurs, au nord-ouest de l'ailleurs, là-haut, dans l'invisible dehors, à la frontière boréale de l'esprit. 



L'invisible dehors, carnet islandais d'un voyage intérieur
Editions ISOLATO
[Parution le 23 avril 2015]

vendredi, avril 03, 2015

Archives du vent



Je n’ai aucun souvenir précis du moment où la conviction s’ancra en moi que ce que nous appelons la réalité, la vie, le monde – la feinte trinité – tout ce jargon tiré, dirait-on, d'une notice sur les effets secondaires d’un antidépresseur, s’avérerait à jamais incapable de m’orienter ici-bas. J’avais vécu jusqu’ici comme nous vivons tous, casé entre les mêmes murs socioculturels que ceux de notre génération, rangé entre la famille, les études et les vacances, obéissant comme tout le monde à la volonté anonyme de la société et, le temps passant, l’esprit s’éveillant, de plus en plus anxieux de ce choix abstrait et de ses obligations, quant à elles, très concrètes.
J’étais d’année en année plus désemparé devant l’énormité du piège.
Il m’avait fallu un peu plus de vingt ans avant de comprendre que, par réalité, on me désignait l’impasse quotidienne dans laquelle vivre et, par monde, l’endroit où cette (dés)intégration organisée avait lieu.
Le choc que j’en reçus fit longtemps de moi un homme vide.
Ce fut mon premier contact avec l’autre réel.
Qu’est-ce que l’autre réel ? Cette nudité qui flamboie lorsqu’on élimine tout ce qui, aux yeux de la multitude, constitue la triste cohérence du monde où vit celle-ci.
La famille.
Le travail.
Les congés.
La société.
Autrement dit, le monde.
On exagère toujours un peu en disant « le monde » pour parler de l’Homme, remarque nonchalamment Robert Mitchum (le Colonel Powell) dans une scène du Rapport Usher, le dernier film du réalisateur Egon Storm, celle où, pour la première fois, il s’entretient avec Damon Usher, un clairvoyant incarné par Montgomery Clift, en glissant au même instant un Habanos dans le coupe-cigare à guillotine fixé à son bureau.
Son opération réussie, il poursuit :
L’humanité, au niveau planétaire, ça ne fait jamais qu’un village de Yahoos encerclé à 70,8% de mers et d’océans, plus 29,2% de terres émergées dont la moitié sont des déserts et de hautes montagnes, sans compter l’espace aérien et extra-atmosphérique, soit, grosso modo, l’équivalent d’une réserve d’indiens dans les Etat-Désunis du XXIe siècle. Le monde, monsieur Usher ? renchérit-il, en contemplant entre ses doigts le Habanos allumé. Nous n’avons pas encore géométré l’âme des choses, mais on y travaille

"Archives du vent" de P.Cendors.
Roman à paraître aux Editions Le Tripode en septembre 2015
Photo: W.Eugene Smith (1950) MAGNUM