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lundi, mai 04, 2020

Memento mori




         



   Ce récit est pour moi seul. Seul pour tourner le dos à ce qui empêche de (se) faire face. Seul pour ne plus entendre ce que toutes nos voix taisent ensemble. J'en écris les premières lignes au déclin de l'année. Cette conjonction ne doit rien au hasard. Dehors, le vivant s'est dépouillé des signes de la vie. Une immobilité froide et brumeuse enserre le rivage.
   La lumière, jour après jour, s'intériorise. Elle sombre dans une profondeur où la plupart ne voient que désolation, anéantissement, obscurité tombale. Ce ne sont là que les premières marches basses d'un escalier aux volées nombreuses, et chacune d'elles, en nous distançant intérieurement des apparences, nous réconcilie, pas à pas, avec le mysterium du réel.
   Je suis natif de cette saison où le jour, cédant à la nuit, invite à d'hivernales métamorphoses. Ce qui s'achève me somme d'en faire autant. Ce qui finit irradie d'une totalité lumineusement sombre, obscurément vivifiante, déjà enceinte d'une nouvelle métamorphose.
   On s'y délivre enfin de cette étreinte possessive - une avidité qui s'évide - de ce qui s'est longtemps rêvé en nous sous le leurre d'un astre fixe.
   "Je suis à la recherche de l'homme des pouvoirs premiers", écrivait Ramuz. Je préfère aller à la rencontre des pouvoirs premiers des lieux.  Il y a sur le rivage atlantique un froid vigilant de l'esprit qu'aucun homme ne saurait éveiller en moi.
  C'est là, à l'écart des pas, loin des sentiers, là où la vague efface mes empreintes sur le sable, que je veux marcher. La plage est vaste. Je suis seul. L'aube vient.

Extrait de "Memento mori" Editions Les Petites Allées (à paraître)
Photo: Jacques Mataly