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dimanche, juillet 08, 2007

DISPA-R-ÊTRE 2/2


D’ordinaire, le dispositif plus ou moins apparent d’un spectacle est là pour séduire le spectateur hors des bras de son quotidien et l’entraîner de l’autre côté du miroir. On assiste alors à un tour de prestidigitation où les repères de la réalité familière sont volontairement supprimés et relégués « en coulisse », pour parfaire l’illusion.

Dans la cinémécanique, cette règle est non seulement ignorée, elle accomplit sa magie sans gants ni écran de fumée. L’imaginaire se situe dans un même espace que les coulisses. Pendant que les images s’articulent sur l’écran, on peut voir opérer les cinémécaniciens à l’arrière plan. Gestes patients et concentrés d’un artisanat à la fois bricolé et numérisé, d’un langage intuitif et codifié, improvisé et mûri. Le spectacle vibre de cette osmose fragile, quasi organique, qui relie les quatre créateurs à leur création.

En ce sens, plus qu’un simple spectacle, on assiste publiquement à un chantier intérieur du récit, à l’exploration narrative des courants de fond de l’être, d’une traversée dans l’arrière-pays de son réel. Le public est le cinquième mécanicien qui, par son écoute active, magnétise le séisme narratif dont chaque fulguration, mimée sur l’écran, comme le langage des lèvres d’un muet, exprime l’inexprimé.

C’est un atelier d’art au sens primitif, presque archaïque du terme : un lieu expérimental où la recherche d’artistes-artisans converge en temps réel dans le microcosme collectif d’une salle de spectacle. Pendant que Vincent Fortemps dessine, gratte, hachure directement la surface des rhodoïds projetés sur l’écran, Christian Dubet, à la lumière, module l’image comme une conscience insaisissable dont il traduit, devant un capteur vidéo, les nuances et les intensités. De son poste, Gaétan Besnard orchestre le dialogue des images sur deux écrans tandis qu’Alain Mahé travaille la dimension spatiale et sonore.

La cinémécanique : un récit de la métamorphose ou une nouvelle métamorphose du récit ?

Une machine de « pantomime sonore et lumineuse », répondent ses créateurs, en précisant : « c’est un procédé artisanal quasi enfantin, un espace de rencontre entre les quatre cinémécaniciens [qui] doit rester un espace expérimental, de recherches sur la question du récit en images, en mouvement ».

On a évoqué à son sujet une sorte de bricolage à la Méliès. La définition ne doit pas abuser : si cette machine polymorphe en est encore à sa phase d’essai, son champ d’action est mieux défini : davantage qu’un art magique, c’est un art poétique. Davantage qu’une féerie cinématographique ou que la séance récréative d’un « art trompeur », c’est une expérience intérieure, fruit de recherches et de questionnements essentielles.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’identité visuelle de la cinémécanique revient à son co-fondateur, Vincent Fortemps. Ce jeune graphiste et bédéiste belge, né en 1967 dans le Brabant, explore depuis plusieurs années un univers visuel d’une force incontestable. Ouvrir l’un de ses livres revient à arpenter des paysages élé-mentaux. Ils agissent sur le lecteur à la manière d’échos visuels qui innervent sa réalité interne telles des visions.
Fortemps le remarque lui-même : « […] je ne me sens pas du côté de la plasticité pure mais plutôt de la trace. Mon travail s’articule autour de la mémoire, du processus. » et d’énoncer quelques unes de ses influences les plus marquantes : Paul Cézanne, Van Gogh, Samuel Beckett, Carl Dreyer.

Ainsi pour tous ceux qui n’ont pu encore assister à « BAR-Q-UES », on ne peut que recommander les œuvres publiées de Vincent Fortemps. Elles serviront également d’introduction à la cinémécanique, ce nouvel art poétique du XXIe siècle naissant. Le procédé séquentiel de la mise en page ainsi que le mouvement inhérent à ses dessins en annonçait déjà le passionnant avènement.
[© Photo, Vincent Fortemps]



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