en guise d'introduction à "Temps Gelé",
un nouveau titre dans la bibliographie du poète et auteur
[disponible chez Monsieur Toussain Louverture]
Je suis d’ailleurs : Thierry Acot-Mirande
« …je veux que ce récit me survive
« …je veux que ce récit me survive
et qu’il soit dans l’histoire des existences
une étrangeté vraie, comme une
ouverture blafarde sur l’inconnu »
« L’homme voilé » Marcel Schwob
Certains n’ont du poète que le titre ; semblable à un Faust d’opérette, ils feignent une profondeur de nuit à laquelle ils ne se mesureront ni ne se sonderont jamais. Laissons-les à leur mascarade et regardons plutôt celui qui approche, tête nue, car celui là, parti seul penché sur son ombre « comme sous le poids de la lumière », a traversé plusieurs fois le dédale souterrain qui sous-tend la réalité.
A la question, comment vous définiriez-vous ?, qu’on lui posait, un jour, Thierry Acot-Mirande répondit : "Comme quelqu'un qui peut complètement se laisser submerger par sa propre mythologie" ; observant un peu plus tard : "pour moi, lire un livre est une expérience au même titre que voyager ou tomber amoureux."
Les livres seraient-ils le lieu où un écrivain invite son lecteur à de vertigineux rendez-vous ? Sans doute, mais encore faut-il préciser que notre auteur est le lieu d’étranges rendez-vous qui prennent ensuite la forme de chefs-d’œuvre aussi envoûtants, atypiques, poétiques, que Spyder, La vie d’un autre ou Anasandra, pour n’inventorier que le territoire de la fiction.
Cette question de lieu, d’un ailleurs absolu, peut-être ultime, loin de nous écarter de notre propos, nous ramène à son point d’incandescence. Pour ordinaire qu’en soit l’apparence, le lieu du livre est l’univers d’un écrivain sous l’emprise de son mystère. S’il ne l’est pas, ce n’est que de la littérature.
En cela, davantage qu’un littérateur faisant métier, pour ne pas dire commerce, de l’écriture de livres, Thierry Acot-Mirande est un faux écrivain et un authentique poète, un apprenti d’ailleurs (ses propres mots), un frère psychique de ces mystagogues d’autrefois, antique gardiens des mystères, un homme enfin qui, dès notre première rencontre, m’évoqua le titre d’un livre : Je suis d’ailleurs. Cette œuvre, je fus incapable sur le coup de l’attribuer à son créateur. Qui l’avait écrit ? Soufflé par je ne sais quelle intuition, ce rapprochement n’avait tout à coup rien de hasardeux, relatif à un auteur qui remarquait encore récemment : ce qu’on nomme vie ordinaire perd son temps avec moi.
Cela me revint alors un peu plus tard : The outsider / Je suis d’ailleurs, était de H.P.Lovecraft.
Le choix d’un lieu pour notre rendez-vous, en lui-même absolument révélateur de l’expérience qu’il augurait, avait porté sur une boutique du onzième arrondissement. Pour ceux qui n’ont encore jamais franchi son seuil, Hors-circuits (ici, on l’aura compris, les noms et lieux correspondent à la géographie intérieur d’un homme) est un vidéoclub-librairie, un espace exclusivement dévoué aux œuvres cultes alternatives, expérimentales ou visionnaires, florissant à l’ombre du mainstream. Un lieu où se côtoient Lynch, Epstein, Tarkovski, était hautement approprié à la rencontre de Thierry Acot-Mirande.
D’emblée, ce qui saisissait chez l’auteur de Spyder, c’était derrière une haute taille, sa présence calme et occulte. Nous étions seuls dans la boutique. Délaissant bientôt les rayonnages pour la rue, nous avions échangé nos premières paroles en dérivant dans Paris. Thierry qui connaissait sa ville natale évidement mieux que moi, m’avait suggéré une halte au Père-Lachaise, lieu qui devint celui de tous nos rendez-vous.
Nous nous retrouvions dans cette nécropole pour évoquer dans la plus grande liberté nos projets de vivants. Je crois que la foule silencieuse des tombes nous offrait à l’un comme à l’autre un élan émancipateur. Sous le regard des morts, l’esprit s’énergétise, la pensée s’espace, entrouvre des profondeurs comme les lents remous d’un cétacé. Quand je repense à ces conversations vagabondes, je réalise qu’il n’y était question en premier lieu que de poésie.
Poète protéiforme, Thierry Acot-Mirande, ne l’est pas seulement dans ses recueils : Ceux qui blessent, Cendres étoiles et, récemment, Voies mortes, mais dans chacune de ses œuvres. Ses lecteurs en ont tous fait l’expérience, les autres n’auront qu’à lire les premières lignes de ce recueil, la poésie fulgure et prolonge de longs échos sous toutes les arches ouvertes de son écriture. Elle est cette sinueuse météore qui, illuminant brusquement le ciel noir des phrases, plonge le lecteur dans un vertige hypnotique.
Je n'ai pas mes racines dans la littérature, constatait encore Thierry Acot-Mirande. C’est peu de dire que ses œuvres sont des champs extra-littéraires où les généralités de la vie, du monde sont définitivement congédiées, pour enfin arpenter à pas nocturnes les territoires ancestraux de quelque chose que les hommes, autrefois, nommaient l’âme. Portons tout de suite notre regard au-delà, l’exigence de sa démarche nous y encourage, plus, elle nous y engage. Qu’on se le dise avant d’aborder cette terra ultima : nous n’en reviendrons pas indemne.
Je sais peu d’écrivains chez qui l’écriture induit le lecteur à une si forte hypnose sensorielle. Un pouvoir d’évocation visuel puissant imprègne la langue. Il faut se tourner du côté des réalisateurs, parmi les géants du siècle, pour rencontrer en Welles ou Lynch, une maîtrise aussi complète. Magie de la voix, subtil mystère du jeu, impact de l’image, étrangeté visionnaire de l’œuvre, chaque élément est au service d’un univers où, vite dépaysé, l’on se retrouve pourtant plus vite encore, ramené au vif de soi-même, à l’énigme de soi-même, au mystère lui-même.
Le monde que Thierry Acot-Mirande explore dans ses œuvres avec une sensibilité divinatoire, plonge ses racines au plus profond d’un silence où s’obstine une lueur d’infini. Entendons-nous bien : ici, le rideau est depuis longtemps tombé sur le dernier acte, la scène du monde est vacuité, le soleil des projecteurs aboli ; les consciences, - évitons ce terme de personnages -, les consciences qui peuplent posthumément les pages dérivent comme des ombres dans la matrice brûlante du vide. Qui sont-elles, si familières pourtant dans leur étrangeté ?
Âmes tourmentées, secrètes et solitaires, visionnaires exilés dans leur siècle ou ermites vagabonds noyés dans la foule, telle « Spyder », une figurante de cinéma, « …une personne dont le rôle est effacé dans une société. » ou encore, Lucas, « Le photographe bleu », un artiste déplacé dans sa boutique au milieu de nulle part. Dans « Au bois sacré », le narrateur anonyme, pèlerin existentiel sans dieu, rencontre son frère jumeau au terme d’une longue dérive urbaine. Sur une île de l’Amérique latine où bat, infernal, le carnaval annuel, dans « Sable rouge », un écolier, Albrecht Finch, succombe dans une chasse poursuite éblouissante de désir et de mort, à la séduction funeste d’un étrange arlequin.
Où sommes-nous, quels sont ces lieux qui, la page refermée, palpite comme une fleur brûlante derrière nos paupières ? Dans une scène de Spyder, l’auteur décrivant l’œuvre d’un peintre, Anton, ce faisant dresse pour nous son propre portrait : « Il prend pour sujets des individus placés dans les paysages d’un ailleurs, il trouve une tension spirituelle dans la poésie de lieux inconnus… » On ne saurait être plus précis.
L’art de Thierry Acot-Mirande, à mi chemin entre réalisme fantastique et quelque chose qui échappe à la dictature même des ismes, le situe dans une filiation d’esprit qui de Lautréamont à la scène poétique nord-américaine, passe par Lovecraft, les poètes du Grand Jeu, Novalis, Nerval, Schwob, le cinéaste David Lynch, l’art visionnaire de Poe et des poètes en marche qui, voici quarante ans, l’enfance de notre auteur, gravitaient autour de la revue Planète. Les œuvres rassemblées ici pour la première fois en volume, forment dans la sauvagerie cosmique du ciel poétique, une constellation d’une pureté noire et étincelante.
« Lire un livre est une expérience au même titre que voyager… », nous prévenait plus tôt l’auteur, mais qui nous dit que le voyage suit toujours les buts du voyageur ? On cesse d’errer ou finit le chemin, écrivait Edmond Jabès dans Le livre des questions. Ne perdez pas la direction de l’impasse, répond Thierry Acot-Mirande.
Père-Lachaise, ville lumière de France, banlieue terre, une fin d’après-midi dans le XXIe arrondissement du siècle : deux silhouettes quittent en silence les allées désertes. Leurs pas sans empreintes sur le pavé. Les paroles échangées se sont perdues, restent les tombes comme des bagages abandonnées dans le hall d’attente d’une gare.
A ce point du voyage et quelque soit votre destination, n’oubliez pas d’emporter ce livre avec vous. Tournez la page, lisez la première ligne et plongez votre regard dans ce petit écran du mystère où le cosmos observe, silencieux, son imaginaire à l’œuvre…
PC
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