A partir de quel
moment comprend-t-on que l'on est poète? Je ne suis certain que d'une seule
chose: on le comprend avant même d'avoir crée une œuvre. On le sait quand on n'est
encore rien ni personne. Cette phrase
vide indique pourtant un point d'ancrage originel. Une matrice sans laquelle,
quoique l'on fasse, même avec talent, tout reste privé d'incandescence.
Le poète est quelqu'un qui n'est
plus personne, c'est une force en mouvement comme l'oiseau encore sans plumage,
tapis dans l'immobilité du nid, est un vol en puissance. Les livres que l'on
publie plus tard ne font pas nécessairement de vous un poète. On cesse souvent
de l'être au moment même où, l'œuvre dans ses mains, sa photo dans un magazine,
on échange la vision de la poésie contre un reflet avantageux, une cage dorée
dans le zoo culturel.
Toute pose est une imposture.
On succombe tous à cette séduction. Certains figent la pose jusqu'au bout. On
les décore comme il convient de le faire des statues d'un musée. D'autres sont possédés du besoin de
s'en libérer. Ils marchent sans un socle sous les pieds. Ils s'orientent en
silence vers cette brûlante béance en eux. Ils regagnent leur nuit
natale. Parmi eux, la plupart succomberont à la beauté sauvage de leur plumage
noir. Leur non-pose sera visible de loin (ils y veilleront). Seul un petit
nombre éprouvera le besoin de se libérer de cette "non-pose poseuse". Et
de poursuivre seul, hors de tous chemins,
l'"outre-chemin", celui qui exige de se quitter. On y accède en
ne se retenant plus à rien.
Photo: Klavdij Sluban